Cérémonie de remise de l’insigne de l’Ordre National du Mérite à Antoine REBELO

Cérémonie de remise de l’insigne

de l’Ordre National du Mérite

à Antoine REBELO

REMERCIEMENTS

Mesdames, Messieurs, Chers amis, et bien chers tous
    Je vous remercie de vos marques d’estime qui me touchent profondément et notamment ceux d’entre-vous qui sont venus de leur lointaine province pour m’exprimer leur amitié. J’adresse mon salut et remerciements à vous tous ici présents, ainsi qu’à tous ceux qui n’ont pu venir en raison d’empêchements :
  • A ma famille, à mes amis d’enfance, à mes voisins de quartier de Meudon et Clamart, à la communauté portugaise dont je suis issu.
  • A mes camarades du Lycée Paul Langevin de Suresnes, à la communauté des Gadzarts, à mes amis de Renault
  • Aux familles qui ont adopté des enfants en souffrance, parfois handicapés, ou parrainé des jeunes en difficulté pour leur construire un avenir.
  • Aux diverses personnalités présentes parmi lesquelles je citerai :
    • Marie Christine Le Boursicot, Secrétaire Générale du CNAOP (Conseil national pour l’accès aux origines personnelles)
    • Bertrand Morin, Vice Président Enfance et Familles d’Adoption, en charge du Service Enfants en Recherche de Familles
    • Véréna Thorn, Fondatrice de la Passerelle de Gennevilliers
    • Le Colonel Bédu, responsable local pour l’Ordre National du Mérite
    • Catherine Briand, de la Délégation Générale des affaires Sociales,
    • Philippe Mimaud président de l’UDAF représentant le Comité de parrainage de l’Essonne
  • A tous ceux enfin qui se sont dévoués à la préparation et à la réalisation de cette grande journée, en y associant la municipalité de Clamart.
    A la fois ému et confus de tenir ainsi le devant de la scène, je vous dois
quelques explications : L’insigne de l’Ordre du Mérite que j’ai l’honneur de porter maintenant, a fait l’objet d’une requête voulue par le regretté Roger Brunet, Président fondateur de la Fédération Nationale des Foyers adoptifs, qui me recruta en 1975 pour faire partie de son conseil d’administration. Il avait bien compris le désir qui nous habitait Janine et moi, de venir en aide aux enfants délaissés et oubliés dans les établissements de l’Assistance Publique. Avant de disparaître, il avait prié son successeur d’engager cette démarche, afin de valoriser l’action que nous avons développée depuis 30 années, avec la contribution de nombreuses familles adoptives ou parrainantes, qui se sont dévouées corps et âme aux enfants privés de famille pour leur construire un avenir.
     Le mérite de cette distinction, revient de droit aux familles adoptives ou parrainantes qui ont accueilli, aimé et parfois souffert pour sauver ces enfants et leur donner une raison de vivre. Elles nous ont souvent émerveillé par leur dévouement, leur détermination, par l’exemple réconfortant donné à notre société qu’elles ont contribué à humaniser.
     Ce que je suis devenu, je le dois à ces actions menées en commun, mais aussi aux rencontres parfois providentielles sur le chemin de la vie. Je me suis construit peu à peu, au travers des circonstances, des difficultés qu’il a fallu surmonter avec ma famille dans des conditions précaires. J’ai vécu le déracinement de l’émigration au temps de mon enfance, au sein d’une communauté d’émigrés logés à la même enseigne, venus de tous pays, Arménie, Italie, Portugal, pays Slaves, et même de Chine, que j’appris à connaître et à apprécier. Nos logements exigus nous portaient à occuper la rue, devenue territoire de notre bande de gamins turbulents, prompts aux chamailleries mais soudés par de profonds liens de camaraderie. Et nos parents veillaient au grain pour nous éviter les débordements, parfois au prix de raclées mémorables.
     Nous avons aussi bénéficié à l’école communale, d’un enseignement primaire de qualité qui nous a éduqués et structurés. Ce furent ensuite les difficiles années du temps de guerre où il fallut survivre, en développant nos capacités d’initiative, d’ingéniosité et la solidarité de notre groupe.
    A l’âge de 14 ans nous avons tous quitté l’école pour l’usine, ou pour aider des parents commerçants ou artisans. Nous n’avions pas d’autre perspective.
     J’eus la chance d’entrer en apprentissage chez Renault, d’y apprendre un métier et de bénéficier par la suite d’une bourse d’études. La Régie Renault était à ce moment là une entreprise pilote exemplaire dans le domaine social. Elle m’envoya à 18 ans au Collège Technique de Suresnes, devenu Lycée Paul Langevin, pour y préparer le concours des Arts et Métiers sous la conduite de professeurs dévoués qui ont su nous former au plan technique, scientifique et culturel.
    Admis en octobre 1948, à l’Ecole Supérieure des Arts et Métiers, j’eus le privilège d’y recevoir durant quatre années, une solide formation d’ingénieur et surtout de découvrir la communauté fraternelle des Gadz’Arts.
    Et ce furent ensuite 32 années de carrière d’ingénieur d’études et d’essais à la Régie Renault, qui m’ont profondément marqué, et permis de nouer des amitiés indéfectibles.
    J’ai quitté la vie active au mois de septembre 1985, et nous nous sommes engagés totalement avec mon épouse dans l’action sociale bénévole, que nous avions déjà débutée en 1973 par le parrainage d’un gamin de 11 ans, délaissé dans une maison d’enfants près de Roissy.
    
     Je m’adresse maintenant aux familles adoptives et parrainantes pour leur exprimer mon admiration et ma reconnaissance. Grâce à elles nous avons progressé dans la connaissance des divers aspects de l’adoption et du parrainage, reculé les limites du possible, et gagné la confiance des travailleurs sociaux avec lesquels nous avons pu développer un partenariat fécond et profitable à de nombreux enfants en difficulté. Nous avons aussi agi avec d’autres associations qui oeuvrent, chacune à leur manière au service d’enfants de tous âges et de toutes conditions,
parfois handicapés, du bébé au jeune majeur isolé qui recherche un soutien afin de s’insérer dans la société, avec l’appui d’adultes bienveillants.
    Tout cela nous l’avons entrepris en couple, aux cotés de mon épouse, sans laquelle je n’aurais pu effectuer tout ce chemin. Aussi ai-je tenu à différer cette cérémonie d’un an après ma nomination, au jour anniversaire de nos cinquante ans de mariage, pour avoir le privilège de recevoir de Janine, l’insigne de l’Ordre National du Mérite. Elle m’a précédée de 3 années dans la voie des honneurs, et réalise enfin le vœu formulé par le regretté Roger Brunet. Par cet acte symbolique, elle rétablit maintenant, la parité de notre couple déjà uni dans sa complémentarité.
    Permettez-moi maintenant de vous conter l’histoire de notre rencontre.

 UNE HISTOIRE D’AMOUR

    Le 15 mai 2001, Janine est nommée Chevalier dans l’Ordre National du Mérite. Invité à dire un petit mot lors de la remise de son insigne au congrès national EFA de Reims, j’étais en panne d’inspiration. Sur le quai du métro. un aveugle jouait : «  c’était une histoire d’amour ». aussitôt, mes yeux se sont
ouverts. J’avais à rendre témoignage d’une belle histoire d’amour.
   J’ai rencontré Janine au coin d’une rue. Etait-ce une rencontre inscrite dans le ciel, ou le hasard, comme le chantait Mouloudji en ce temps là ?

« Un jour, tu verras, on se rencontrera, quelque part n’importe où, guidés par le hasard… »

   J’avais 25 ans et Janine 18 printemps. Nous attendions le même bus, un dimanche d’octobre à la tombée de la nuit. Nos regards se sont croisés et ce fut l’étincelle. Nous sommes descendus à la même station car nos demeures, étaient encore par hasard proches l’une de l’autre. J’appris qu’elle était fille de commerçants
mais qu’elle aspirait à autre chose. Dès l’âge de 16 ans, elle enseignait la gymnastique. Deux ans plus tard, elle animait avec passion et compétence une section de danse rythmique au Club Sportif Municipal de Clamart.
   Après notre mariage, sa demeure est devenue la mienne. Nous voulions beaucoup d’enfants, mais le sort en décida autrement. Elle s’investit totalement auprès de ses élèves, obtint son diplôme d’études chorégraphiques et ouvrit un cours municipal de danse très apprécié. J’étais fasciné par le charisme qu’elle manifestait dans la pratique de son art et la confiance que lui portaient enfants et parents. Elle portait une grande affection à ses élèves, des plus grands aux tous petits, qui le lui rendaient au centuple. Ses galas annuels où se présentaient plus de 150 élèves étaient de petits chefs d’œuvres. Je l’aidais comme je pouvais, tour à tour régisseur, présentateur, administrateur de l’école de danse. Nous étions bénévoles, car son désir était de mettre la danse classique et folklorique à la portée de tous.
   Mais nous n’avions toujours pas d’enfant. Au terme de dix années d’attente, délai exigé par la loi de l’époque, une petite Céline nous fut confiée en adoption. Petite fille chétive aux grands yeux noirs, âgée de trois mois, qui dépérissait dans sa pouponnière. Aussitôt accueillie, sa santé se rétablit et sa présence ensoleilla notre maison.
   Janine continua à enseigner la danse, portant notre Céline dans un couffin qu’il lui arrivait de poser sur le piano. Elle participait alors à sa manière à l’enseignement de sa maman et devint par la suite une de ses meilleures élèves. Un fils nous fut donné après encore cinq années d’attente interminable. Petit
garçon apeuré de deux ans, qui découvrit alors l’amour d’une petite sœur et de parents attendris. On l’appela Denis Emmanuel.
   Trois années plus tard, en 1973 nous faisons la connaissance d’Ali, enfant de l’Assistance Publique que nous allons chercher près de Roissy, pour l’accueillir tous les week-ends et congés scolaires. A travers ce parrainage, nous découvrons la détresse affective des enfants placés, oubliés par leurs parents.
   Ce fut le déclic. Sur les instances de Madame Neuville et de Roger Brunet, co-fondateurs de la Fédération Nationale des Familles Adoptives, nous rejoignons la FNFA pour y porter la parole des enfants délaissés, et nous participons en 1978, à la création de l’association de parrainage Un Enfant Une Famille. Au contact de parents adoptifs d’exception, nous nous sentons portés par une vague de fond, et décidés à défendre la cause des enfants privés de famille.
   Janine quitte alors la danse qu’elle enseignait depuis plus de 20 années, pour se consacrer totalement à cette nouvelle mission. Elle se bat sur tous les fronts, au sein du Conseil de Famille des Pupilles de l’Etat , auprès des œuvres, des divers services sociaux, afin qu’aucun des enfants sans famille dont elle a la connaissance, ne soit oublié. Elle les porte en elle, et recherche inlassablement des familles qui puissent leur offrir la chaleur d’un foyer, les adopter ou les parrainer selon ce qu’il est possible de réaliser pour eux.
   Elle reste au contact de ces familles pour les soutenir, les conseiller et s’enquérir des progrès accomplis par les enfants. Avec la participation de nos propres enfants, certains d’entre eux ont été d’abord accueillis dans notre grande maison, enfants meurtris, rejetés, parfois brisés, le temps d’élaborer un projet pour la Fédération Nationale des Familles Adoptives leur trouver une famille de parrainage ou d’adoption.
   Quelques uns nous disent parfois : « pourquoi chercher ? Je suis bien ici.» Mais nous ne pouvons accueillir autant d’enfants à la fois, et nous leur expliquons notre rôle de relais destiné à les préparer à la rencontre de familles où ils pourront enfin s’installer définitivement.
   Cependant, une fille et un garçon sont restés chez nous, sous tutelle, car il n’y avait pas d’autre solution possible. Myriam, maghrébine accueillie à 7 ans, issue d’un établissement hospitalier, fut adoptée à 24 ans. Fouad, petit marocain accueilli à 11 ans, puis retourné chez sa mère à 16 ans, est devenu ingénieur.
   Nous avons eu aussi à déplorer, le jour de Noël 1989, le décès accidentel à Nouméa, de notre fils Denis Emmanuel, à l’âge de 21 ans.
   Comme tout couple, nous avons connu ensemble de grandes joies, un grand malheur, de multiples difficultés surmontées au fur et à mesure. Et notre couple qui sortait renforcé de toutes les épreuves subies, demeura fidèle à ses engagements. Ces épreuves m’ont révélé les éminentes qualités d’une épouse patiente, aimante,
dévouée et résolue, et nous ont permis d’avancer sur notre chemin qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille.
   J’ai mené grâce à Janine une vie passionnante, signifiante et m’estime comblé par la providence qui l’a placée sur mon chemin. Et je veux ajouter que rien de cela ne serait arrivé sans l’amour partagé dans notre couple, dans notre famille, avec tous les enfants croisés au hasard de notre route.

 Grand merci à toi, Janine !