Veil

CIRCULAIRE Nº 38 DU 30 JUIN 1978
relative au parrainage des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance.

(Non parue au Journal officiel.)

Le ministre de la santé et de la famille
à
Messieurs les préfets de région, service régional des
affaires sanitaires et sociales (pour information) ;
Messieurs les préfets, direction départementale des affaires
sanitaires et sociales (pour exécution).

INSTRUCTIONS POUR LA RÉALISATION
DES PARRAINAGES D’ENFANTS
PLACÉS EN ÉTABLISSEMENT

Mon attention est constamment appelée sur la solitude affective, voire quelquefois la détresse des enfants de l’aide sociale à l’enfance placés en établissement.

En effet, les dernières statistiques de l’aide sociale à l’enfance montrent que sur les 184 000 enfants physiquement à la charge du service au 31 décembre 1976 (dont 25 000 pupilles adoptables) :
– 11 000 sont en internats scolaires ;
– 23 000 sont en maisons d’enfants à caractère social ;
– 17 000 sont en établissements d’éducation spécialisée.

Si beaucoup d’entre eux ont conservé des liens et des relations avec leur famille ou bénéficient d’un placement familial complémentaire pour les sorties ou les vacances, d’autres, en revanche, n’ont jamais l’occasion de connaître une vie familiale. C’est le foyer de l’enfance ou une autre collectivité qui les accueille lorsqu’ils changent de placement ou lorsque leur établissement ferme temporairement ses portes. Il n’est pas toujours possible pour le service de procéder autrement avec ses moyens habituels. Néanmoins, chacun sait que ces enfants souffrent de leur solitude, en particulier durant les périodes où leurs camarades plus favorisés peuvent retourner dans leur foyer ou dans une famille d’accueil.

Il faut donc trouver une formule pour remédier à leur situation, dans l’esprit d’ouverture qui inspire l’évolution actuelle de l’aide à l’enfance et qui se manifeste de différentes manières : collaboration avec les familles naturelles, effort sur les placements familiaux, développement de l’adoption, abandon de certaines méthodes ségrégatives.

Or, vos services, tout comme l’administration centrale, sont souvent sollicités par des personnes qui voudraient faire quelque chose pour les enfants. Il y a là, à travers des demandes maladroites et souvent mal informées beaucoup des disponibilités qu’il serait regrettable de décourager alors que des besoins existent chez beaucoup d’enfants.

C’est pour ces raisons que je vous avais signalé dans ma circulaire nº 17 AS du 21 juin 1972, l’intérêt de mettre en place ou de développer des parrainages.

Les réponses au questionnaire que je vous ai transmis par circulaire nº 4 du 19 janvier 1976, dont vous trouverez, en annexe, le résumé, montrent que ces directives ont été très différemment mises en pratique selon les départements : assez répandus dans quelques uns d’entre eux, les parrainages sont totalement inconnus dans d’autres, ce qui me surprend compte tenu des directives que vous avez reçues en 1972.

Aussi, paraît-il nécessaire de vous apporter des précisions sur cette forme d’aide dont pourrait bénéficier un plus grand nombre d’enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance et en premier lieu les pupilles qui devraient, à de très rares exceptions près, avoir tous une structure familiale de référence (famille adoptive, famille nourricière d’accueil ou famille de parrainage).

I. – Nature du parrainage.

Plusieurs directions départementales m’ont redemandé en quoi consiste le parrainage. C’est une aide qui peut varier dans sa forme mais qui présente les trois caractéristiques suivantes : elle est à la fois bénévole, partielle et durable :

– bénévole : le parrainage est toujours fondé sur un élément affectif, une attention portée à l’enfant. Aussi, même si un dédommagement peut être
exceptionnellement lui être accordé, le parrain n’est pas rémunéré ;
– partielle : contrairement au gardien ou tuteur, le parrain n’a pas la harge
permanente ni la responsabilité de l’enfant ;
– durable : le parrain doit suivre l’enfant, le cas échéant, à travers divers placements institutionnels (si le changement, toujours difficile, s’impose absolument) et lui assurer ainsi une continuité de relations. D’autre part, la création de liens affectifs avec un enfant met en jeu un processus imprévisible au départ. Le parrainage demande donc un véritable engagement si l’on ne veut pas faire courir à l’enfant le risque de nouvelles déceptions.

Ces relations suivies mais non permanentes prennent les formes les plus diverses adaptées à la situation particulière de l’enfant. Il s’agit le plus souvent de visites, d’accueil pour les sorties et les congés, ou de correspondance.

Il peut arriver, en outre, que le parrainage débouche sur un placement familial permanent ou sur une adoption alors que ces formules ne paraissaient pas envisageables à l’origine : avec le temps, la famille s’attache à l’enfant et lui-même évolue ou progresse. Il convient de le garder à l’esprit au moment où l’on engage une telle relation, l’éventualité d’une modification de la situation juridique de l’enfant ou de son mode de vie.

II. – Enfants concernés.

Le parrainage est particulièrement indiqué pour les enfants qui n’ont pas de liens affectifs suivis. Il s’agit donc principalement d’enfants qui sont sans famille (c’est le cas des pupilles) ou délaissés par celle-ci, mais qui n’ont pu jusqu’alors bénéficier ni d’une adoption, ni d’un placement familial :

– soit en raison de leur âge ;
– soit parce qu’ils sont affectés d’un handicap sévère et qui nécessite leur placement en établissement ;
– soit en raison des difficultés antérieures de l’enfant.

Il s’agit souvent d’adolescents placés dans un internat scolaire ou dans une maison d’enfants à caractère social. Bien entendu, pour tous les enfants délaissés, vous veillerez en premier lieu à faire des demandes de déclaration judiciaire d’abandon (art. 350) chaque fois que cela est possible afin de les rendre adoptables.

En ce qui concerne les enfants petits, certains services ont signalé la difficulté de les faire parrainer car ils ne comprendraient pas des relations épisodiques et vivraient chaque séparation comme un nouvel abandon. D’autres, au contraire, les comparent à des enfants placés en établissement en raison de leur état de santé et qui retrouvent périodiquement leur famille. Ces services estiment que les enfants parrainés se développent mieux que ceux qui ne le sont pas. Il m’apparaît que, sauf circonstances exceptionnelles, les jeunes enfants non adoptables confiés au service doivent être élevés par des familles d’accueil (assistantes maternelles), et a fortiori s’ils sont délaissés par leur famille naturelle. Dans les rares cas où le placement en institutions s’impose pour de jeunes enfants le parrainage stable me paraît tout à fait souhaitable dans tous les cas où l’enfant s’épanouit dans ce rythme de vie.

III. – L’information et le choix des futurs parrains.

L’information. – Il faut d’abord aider les candidats à clarifier leur demande en la dégageant, par exemple, d’éléments extérieurs comme la proximité de Noël ou une campagne de presse, qui pourraient les inciter à s’intéresser à un enfant de façon tout à fait épisodique, et non à s’engager pour un parrainage de longue durée.

Il convient aussi de les informer sur les enfants du service, souvent d’un certain âge, toujours démunis affectivement mais dont les liens familiaux ne sont, souvent, pas complètement rompus.

C’est pourquoi nous nous attacherons en premier lieu au parrainage des pupilles trop âgés pour être adoptés sans transition et des enfants délaissés par leurs familles naturelles (enfants en garde le plus souvent) le parrainage des autres enfants pouvant être ensuite mis sur pied progressivement avec l’accord des parents.

Les parrains doivent être conscients que le parrainage ne se résume pas à des interventions épisodiques mais consiste en une véritable prise en charge affective à laquelle il ne peut être mis fin unilatéralement sans risquer de provoquer des troubles graves chez l’enfant ou l’adolescent concerné. La possibilité d’une évolution vers un placement permanent (adoptif ou nourricier selon le cas) peut leur être indiquée avec toute la prudence nécessaire, comme je vous l’indiquais ci-dessus.

Enfin, les personnes candidates au parrainage croient parfois que les enfants leur témoignent tout naturellement et rapidement des marques de reconnaissance. En fait, c’est loin d’être toujours le cas en raison des déconvenues qu’ils ont subies précédemment. Il convient donc d’éclairer ces personnes à ce sujet.

Pour le choix des parrains, certains départements donnent la préférence à des couples ayant à leur foyer des enfants à peu près du même âge que l’enfant parrainé. Cela permet à la famille de mieux comprendre les réactions de celui-ci, de lui proposer des loisirs souvent mieux adaptés, de l’aider dans son travail scolaire plus aisément. Il y a lieu à ce propos de favoriser les relations qui auront pu naître spontanément à l’occasion d’activités scolaires ou de vacances.

D’autres départements ont réalisé des parrainages satisfaisants avec des personnes un peu plus âgées qui étaient aussi plus disponibles. En fait, tout repose sur les qualités de la personne et leur correspondance avec les besoins particuliers de tel ou tel enfant.

Les autres critères ne sont pas essentiellement différents du choix d’une famille d’accueil : affection, disponibilité, tolérance au passé de l’enfant, à ses habitudes et à ses goûts, qualité des images masculine et féminine, capacité d’accepter que l’enfant ne manifeste pas de reconnaissance, voire même qu’il régresse momentanément ou se montre agressif.

Les relations avec le service : il est bien certain que des contacts doivent être maintenus entre vos services, les responsables de l’établissement où vit l’enfant et les familles de parrainage. Ces contacts prennent le plus souvent la forme de rencontres individuelles entre les familles, les éducateurs et les travailleurs sociaux qui suivent l’enfant placé. Certains, cependant, ont pu associer les parrains à des réunions ou tables rondes pour réfléchir ensemble aux problèmes posés par ces enfants et aux solutions qu’on peut envisager localement. Ces participations sont toujours ressenties, là où elles ont lieu et après un certain temps d’adaptation, comme très enrichissantes pour les parrains qui sont souvent mal informés sur la situation des enfants et l’organisation des établissements et services, mais aussi pour les personnels de ceux-ci. En effet, les parrains apportent souvent un autre éclairage sur l’enfant, ainsi que d’autres idées sur les moyens à mettre en oeuvre localement et ceci en
raison de leur insertion professionnelle différente.

IV. – Aspect financier.

Le parrainage est une prise en charge bénévole.

Toutefois, je ne verrais pas d’inconvénient à ce que les familles qui accueillent un enfant soient très exceptionnellement dédommagées de certains de leurs frais (transport, séjour des enfants, soins spéciaux…).

V. – Responsabilité.

Lorsqu’un parrain prend un enfant pour une après-midi ou une fin de semaine avec l’autorisation de l’administration, il peut être considéré, selon le droit administratif, comme le  » collaborateur occasionnel d’un service public « . C’est-à-dire qu’en cas de dommage dont l’enfant serait la victime ou l’auteur, c’est la responsabilité du département qui serait engagée. En cas de faute personnelle flagrante du parrain, le département pourrait toutefois engager une action récursoire contre lui.

***

En résumé, j’insiste à nouveau sur l’intérêt de cette formule que certains services utilisent déjà largement et avec beaucoup de succès.

Je vous demande donc de la mettre en place ou de la développer encore et de me tenir informée, sous le présent timbre, des résultats que vous aurez obtenus.

Afin de faciliter l’information du public sur ces possibilités, je mettrai prochainement à votre disposition des dépliants et des brochures explicatives que vous pourrez donner aux familles candidates lorsque vous les recevrez.

SIMONE VEIL.